Une équipe de chercheurs de l’Université de Trondheim a osé poser une question bousculante : Et si on avait pensé le football pour les femmes dès le départ ? Loin d’un simple détail d’équipement, la réflexion éclaire des décennies de football calibrées sur les morphologies masculines.

Olympique Lyonnais Crédits : Steffen Prößdorf
Le football n’a pas toujours été pensé pour tout le monde. À Trondheim, des scientifiques ont décidé de tester ce que donnerait un jeu façonné dès l’origine pour les femmes. Résultat : une expérience qui interroge profondément la logique d’un sport universel mais bâti sur des standards masculins.
Et si on avait pensé le football pour les femmes ? : Quand la science entre sur le terrain
Tout est parti d’un constat limpide : le football actuel repose sur des règles, des terrains et des ballons calibrés pour les corps masculins. L’équipe norvégienne a donc décidé de retourner la logique. Et si on obligeait des garçons à jouer avec des contraintes proportionnelles à celles que subissent les filles ? Le terrain a donc été agrandi de 20 à 27 mètres, les cages rehaussées de 28 centimètres et élargies d’un mètre. Le ballon ? Alourdi de 200 grammes, atteignant quasiment le poids d’un ballon de basket. Et pour parfaire l’expérience, deux mi-temps de 56 minutes au lieu de 45. Voilà la recette d’un match-test qui a vite tourné au supplice.
Le ballon trop lourd qui change tout
Sur le terrain, le verdict a été sans appel. Les jeunes garçons, pourtant sportifs, ont rapidement tiré la langue. Le ballon plus lourd freinait les passes, les frappes perdaient en efficacité, et la fatigue s’installait à vitesse éclair. Au milieu du match, certains se plaignaient déjà de manquer d’air. Au final, chaque joueur a couru jusqu’à trois kilomètres de plus qu’en situation normale. Résultat : une technique brouillée, un rythme haché et une intensité qui s’éteignait bien avant le coup de sifflet final. Voilà ce que vivent, en creux, les footballeuses qui jouent avec des standards masculins.
Gardiennes face à des cages surdimensionnées
L’étude ne s’est pas limitée au ballon. Elle a aussi mis en lumière un déséquilibre criant : les gardiennes. En moyenne, elles mesurent 1,73 m, contre 1,89 m pour leurs homologues masculins. Pourtant, elles défendent des cages identiques. Imaginez l’écart. Proportionnellement, un gardien masculin devrait affronter des buts élargis de 61 cm et rehaussés de 20 cm. Un défi quasi impossible, et pourtant, c’est celui qu’affrontent toutes les gardiennes, sans qu’on le souligne vraiment. À ce niveau, on ne parle plus d’avantage ou de désavantage, mais d’un sport qui impose une lutte inégale.

PSG U19 Crédits : HAC REDRON
Le double effort silencieux des footballeuses
Ce que l’expérience met en évidence, c’est un double effort permanent. À niveau athlétique égal, les femmes doivent fournir plus pour compenser. Des frappes plus puissantes pour déplacer un ballon calibré pour des jambes masculines. Des déplacements plus longs sur un terrain pensé pour des gabarits différents. Et pourtant, dans les tribunes ou sur les réseaux sociaux, combien de fois entend-on des critiques sur un rythme jugé trop lent ou des frappes dites moins spectaculaires ? L’étude révèle que ce jugement repose sur un biais invisible. En réalité, le foot féminin est déjà une performance amplifiée par des contraintes disproportionnées.
Équipementiers frileux et innovation timide
La question se pose alors : pourquoi les équipementiers n’adaptent-ils pas le matériel ? Sur les scènes internationales, les ballons restent des standards unisexes. Pas de différence de poids ou de taille selon le genre. Pourtant, la demande existe et les débats s’ouvrent. Certains prototypes apparaissent, mais timidement. Exemple frappant : le ballon « Konektis » utilisé lors de l’Euro 2025. Truffé de technologies de pointe, mais sans la moindre attention spécifique aux attentes physiologiques féminines. En clair, le discours marketing évolue, mais la conception reste prisonnière d’une vision masculine.

Un enjeu qui dépasse le rectangle vert
Et si on avait pensé le football pour les femmes ? Au-delà de la technique, cette recherche ouvre un débat culturel. Le football féminin souffre d’une comparaison permanente avec le jeu masculin. Moqué pour des erreurs de relance, critiqué pour un rythme moindre, alors que ces mêmes lacunes seraient tolérées chez les garçons. Les chercheurs de Trondheim invitent à changer de regard. Pas question de plaider pour un football au rabais, mais d’imaginer un sport équitable. Adapter ballon et règles, c’est reconnaître que la performance des footballeuses est réelle et mérite d’être appréciée pour ce qu’elle est, pas en miroir des hommes.
Le football pour les femmes, et maintenant ?
La balle est dans le camp des instances et des équipementiers. Les expériences menées en Suisse ont relancé le sujet, preuve que la réflexion dépasse le cadre universitaire. Les footballeuses réclament une reconnaissance pleine et entière de leurs spécificités. Les fans, eux, commencent à comprendre que le jeu féminin ne doit pas être jugé avec la même grille que celui des hommes. La question du ballon n’est pas un détail : c’est une clé pour repenser le futur du football, sans oublier celles qui le font vibrer chaque semaine. Et si, après le ballon, on s’intéressait enfin aux autres règles calibrées par et pour les hommes ?
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