Pendant des décennies, les amateurs et professionnels du football se sont contentés d’analyser les résultats par les seuls buts marqués et encaissés. Un score de 2-1 était bon ou mauvais, un joueur était efficace ou non. Mais voilà qu’une nouvelle métrique bouleverse cette perception : l’Expected Goals, ou xG. Cette statistique révolutionnaire propose une lecture bien plus fine et scientifique des matchs, en quantifiant non plus ce qui s’est passé, mais ce qui aurait dû se passer selon les probabilités.

Les xG ne se contentent plus de compter les buts. Ils évaluent la qualité réelle des occasions créées, révélant ainsi les équipes malchanceuses, celles dominantes mais inefficaces, et celles simplement brillantes. Pour un journaliste football moderne, maîtriser cette métrique est devenu essentiel. C’est l’outil qui permet de dépassionner le discours, de valoriser les performances invisibles aux yeux des novices, et de détecter les tendances avant qu’elles ne se manifestent dans les classements.
Qu’est-ce que le xG (Expected Goals) ?
La définition simple
L’Expected Goals, abrégé en xG, est une métrique analytique qui estime la probabilité qu’un tir se transforme en but. Elle attribue à chaque tir une valeur numérique comprise entre 0 et 1, représentant le pourcentage de chances de marquer.
Par exemple :
- Un tir avec un xG de 0,2 a 20% de chances de se terminer par un but (2 buts sur 10 tirs similaires)
- Un tir avec un xG de 0,8 a 80% de chances de se terminer par un but (8 buts sur 10 tirs similaires)
- Un penalty a environ 0,76 xG de probabilité (ce qui surprend beaucoup : même depuis les onze mètres, les gardiens font leur travail)
La puissance mathématique derrière le xG
Contrairement à ce que l’on pourrait croire, calculer l’xG n’est pas une science exacte, mais plutôt un art statistique reposant sur du machine learning et des milliers de données historiques. Voici comment cela fonctionne :
- Collecte de données historiques : Les modèles xG les plus connus (Opta, StatsBomb, Understat) analysent des milliers de tirs passés pour entraîner leurs algorithmes.
- Facteurs pris en compte : Chaque tir est évalué selon plusieurs paramètres :
- Distance du but : Plus on est proche, plus xG augmente
- Angle de tir : Un tir au centre est meilleur qu’un tir en angle mort
- Type de tir : Une tête, un pied faible, ou du pied fort n’ont pas la même probabilité
- Type de passe précédente : Un tir suite à une passe décisive longue diffère d’un tir après un centre
- Pression défensive : Un attaquant pressé par un défenseur aura un xG inférieur
- Position du gardien : Si le gardien est bien placé, l’xG baisse
- Contextual factors : La minute du match, le score en temps réel, et d’autres variables subtiles
- Attribution du score : L’algorithme compare le tir à tous les tirs similaires de sa base de données et attribue une probabilité basée sur le pourcentage de réussite historique de ces situations.
Les variantes du xG
La statistique du xG a évolué pour devenir encore plus précise. Voici ses principaux dérivés :
xGA (Expected Goals Against) : Le pendant défensif du xG. Il mesure la qualité des tirs concédés par une équipe, permettant d’identifier les faiblesses défensives. Contrairement aux buts encaissés, il ignore la malchance ou la brillance du gardien.
xGOT (Expected Goals On Target) : Introduit par Opta, c’est un modèle « post-tir » qui prend en compte non seulement la qualité de la chance, mais aussi la qualité d’exécution. Il mesure où le ballon termine sa course dans le but (coin supérieur ou tirs faciles au centre). Cela permet d’évaluer :
- La capacité de finition d’un attaquant
- La performance réelle d’un gardien (au-delà du score final)
xA (Expected Assists) : Les passes décisives attendues. Cette métrique évalue la probabilité qu’une passe débouche sur un tir au but. Elle récompense les créateurs qui donnent des ballons en zones dangereuses, même si le tireur rate. Un joueur peut donc avoir un xA élevé sans avoir d’assist officiel.
xT (Expected Threat) : La menace attendue. Cette métrique révolutionnaire évalue chaque action offensive (passe, dribble) selon sa contribution à augmenter la probabilité de marquer. Elle divise le terrain en zones, chacune ayant une « valeur offensive » basée sur la probabilité de marquer de cet endroit.
Pourquoi le xG révolutionne l’analyse du football ?
1. Au-delà du résultat : La vérité cachée d’un match
L’exemple le plus parlant ? Un match entre Lorient et Nantes de Ligue 1 où Nantes l’emporte 2-0. À première vue, c’est une victoire méritée. Mais en creusant les xG :
- Lorient génère 2,3 xG (plus que Nantes)
- Nantes génère 0,8 xG
En réalité, Lorient aurait dû gagner. Nantes a eu de la chance en convertissant ses rares occasions. Cet exemple montre pourquoi les entraîneurs continuent avec un système qui semblait échouer : les données prouvent que c’est la finition qui est le problème, pas la tactique.
2. Identifier les surperformances et sous-performances
Quand on compare les buts réels aux xG, on découvre des patterns fascinants :
Surperformance (Buts réels > xG) : L’équipe marque plus que prévu. Cela peut indiquer :
- Une efficacité offensive remarquable
- Un facteur chance favorable temporaire
- Une qualité de finition exceptionnelle (rare sur une longue durée)
Sous-performance (Buts réels < xG) : L’équipe ne marque pas assez selon ses occasions. Cela révèle :
- Des problèmes de finition
- Une malchance temporaire
- L’absence d’un attaquant clé
Erling Haaland est un cas fascinant : en 2023-24, il générait 27,4 xG en Premier League et marquait 36 buts. Il surperformait son xG par une large marge, confirmant son statut de finisseur élite.

Erling Haaland IMAGO/Action Plus
3. Un outil prédictif supérieur aux buts seuls
Statistiquement parlant, le résultat d’un match est presque autant du bruit que du signal. Les buts suivent une distribution de Poisson, ce qui signifie qu’avec une moyenne de 1,4 but par équipe, l’écart-type est de 1,18. Le hasard domine.
En revanche, l’xG contient moins de bruit et plus de signal. Une équipe avec un xG supérieur est objectivement meilleure sur cette période, même si elle a perdu. Sur une saison complète, l’xG est un meilleur prédicteur du classement que le nombre de buts.
4. Les applications pratiques du xG
Pour les entraîneurs et analystes :
- Valider ou remettre en question une tactique sans attendre la regression statistique
- Identifier les joueurs à recruter basé sur leur xG/xA
- Diagnostiquer les points faibles (défense qui concède trop de xG ?)
Pour les recruteurs :
- Évaluer les attaquants indépendamment de la qualité de leurs coéquipiers
- Repérer les joueurs sous-évalués dans des équipes faibles
- Comparer les joueurs de ligues différentes objectivement
Pour les parieurs :
- Détecter les décalages entre le score et les xG (valeur de pari)
- Identifier les équipes sous-évaluées dont le style domine les xG
Pour les fans et journalistes :
- Raconter l’histoire réelle d’un match au-delà du score
- Justifier les performances ou les malchances
- Prédire les tendances futures avant qu’elles ne se matérialisent
Comprendre les modèles xG : Opta vs StatsBomb vs Understat
Il n’existe pas un xG universel. Différents fournisseurs de données calculent l’xG selon des méthodes légèrement différentes, ce qui crée des écarts notables.

Comparaison des principaux modèles
Understat :
- Performance supérieure en Bundesliga et Premier League
- Modèle plus permissif pour les longs tirs
- Corrélation meilleure avec les résultats réels sur une saison
- Plus généreux en xG moyen (valeurs légèrement supérieures)
Opta :
- Meilleure précision en La Liga et Ligue 1
- Modèle plus strict pour les mauvais angles
- Très stable dans les données temporelles (bon pour les analyses année après année)
- Moins de variance dans les attributions
StatsBomb :
- Très proche d’Opta en précision globale
- Données détaillées et contextuelles riches
- Particulièrement utilisé pour l’analyse vidéo approfondie
Wyscout :
- Modèle plus généreux (xG supérieurs)
- Moins de corrélation avec les autres modèles
- Moins fiable pour l’instant
Quel modèle choisir ?
En pratique, pour un journaliste, l’important est :
- La cohérence : Utilisez toujours le même modèle pour comparer
- L’accès : Understat est gratuit et fiable
- La finalité : Pour un article, mentionnez la source (Understat, Opta, etc.)
Les différences entre les modèles sont généralement inférieures à 0,5 xG par match, ce qui est acceptable pour l’analyse.
Comment lire et interpréter les xG en pratique ?
Les indices clés à regarder
1. xG total vs buts réels
| Situation | Signification |
|---|---|
| Équipe A : 2,5 xG, 3 buts | Surperformance légère. Bonne efficacité. |
| Équipe B : 1,2 xG, 3 buts | Surperformance énorme. Chance ou qualité élite. |
| Équipe C : 2,8 xG, 0 buts | Sous-performance majeure. Attaquants en crise. |
| Équipe D : 0,5 xG, 1 but | Normal statistiquement. Efficacité mais peu d’occasions. |
2. xG ratio ou xGD (différence)
Comparer xG créé vs xG concédé :
- xG positif (xG créé > xG concédé) : L’équipe domine réellement
- xG négatif (xG créé < xG concédé) : L’équipe est en danger même si elle gagne
- xG équilibré : Match équitable selon les occasions
3. L’évolution sur 5-10 matchs
Un match aberrant ne compte pas. Regardez les tendances :
- Une équipe qui génère 1,5 xG/match sur 10 matchs va probablement stabiliser ses résultats
- Une surperformance de 30-40% sur plusieurs matchs ? C’est soit du talent, soit une anomalie statistique
Exemple concret : Lire un match via les xG
Match : PSG 1-1 Marseille
Statistiques post-match :
- PSG : 2,3 xG, 1 but réel
- Marseille : 0,7 xG, 1 but réel
Interprétation : PSG a clairement dominé et créé meilleures occasions. Marseille a eu de la chance en convertissant une occasion secondaire. Le PSG a raté des opportunités clares. Un expert dirait : « PSG a fait le jeu mais manqué de réalisme, Marseille s’est battu et a profité d’une contre-attaque. »
Les limites du xG : Ce qu’il ne peut pas mesurer
1. Les joueurs ne sont pas inclus
Un xG de 0,5 est attribué objectivement. Mais en réalité, un Lewandowski finisseur d’élite n’a pas la même probabilité réelle qu’un défenseur en attaque. Le modèle traite tous les tireurs de la même manière statistiquement, ce qui est une approximation.
2. Les contextes subtils échappent à la mesure
- Un tir pas cadré mais dangereux (cross du gardien) n’est pas comptabilisé
- Les phases parées mais dangereuses ne sont pas dans les xG
- Les duels aériens manqués : pas de xG
- La pression défensive spécifique : modélisée mais imparfaitement
3. La surperformance sur longue durée
Certains joueurs surperforment legitimement leur xG sur plusieurs saisons. Son Heung-min (Tottenham) surperforme ses xG de 30-40% depuis des années. C’est un finisseur véritable, mais cela crée un biais : les xG sous-estiment probablement sa vraie capacité.
4. Les styles tactiques particuliers
- Les équipes contre-attaquantes peuvent avoir un xG faible mais être extrêmement dangereuses
- Les équipes défensives passives gonflent leur xG sans réellement dominer
- Le couteau suisse tactique crée des xG difficiles à interpréter
5. Les gardiens exceptionnels ou mauvais
Un gardien type arrête X% des tirs à 0,6 xG. Mais Manuel Neuer ou Ederson peuvent faire significativement mieux, déformant l’analyse.
Les cas d’usage majeurs en 2024-2025
Pour les journalistes et médias
- Enrichir les récits : « L’OM a dominé le PSG avec 2,1 xG contre 0,9, mais a perdu. Voici pourquoi… »
- Identifier les injustices : Détecter les équipes mauvaises sur le papier mais malchanceuses sur le terrain
- Prédire les corrections : Une équipe avec 0,3 xG de moyenne ne restera pas 5e éternellement
Pour les entraîneurs modernes
Clubs comme Liverpool, Manchester City, et FC Midtjylland utilisent activement les xG pour :
- Valider les schémas tactiques
- Identifier les points faibles défensifs
- Recruter des joueurs basés sur les données
Pour les parieurs
Understat, les bookmakers, et les sites de fantasy utilisent les xG pour :
- Définir les cotes
- Identifier les valeurs de pari
- Corriger les biais des parieurs
Perspectives futures : Vers plus de sophistication
Le xG n’est que le début. Les métriques futures incluront probablement :
- La pression défensive quantifiée : Exactement combien un défenseur réduit-il l’xG ?
- La qualité des gardiens intégrée : Un modèle xG spécifique par gardien
- L’effet de position : Comment la position du joueur avant le tir affecte réellement sa probabilité
- L’AI contextuelle : Des modèles IA qui comprennent le moment du match, l’enjeu émotionnel, etc.
Pour l’instant, le xG reste l’outil le plus accessible et fiable pour dépasser le simple commentaire émotionnel.
Voir aussi notre article sur : Football Manager 26 :Quand FM26 devient un outil de recrutement à part entière
