Un soir de mai 1976, à Glasgow, un détail technique devient une blessure collective. Des poteaux carrés, ordinaires pour l’époque, entrent à jamais dans l’histoire du football français.
L’image reste figée dans toutes les mémoires vertes. Le ballon frappe le bois, ressort, et l’espoir s’échappe avec lui. Hampden Park ne le sait pas encore, mais ses cages vont devenir un symbole national.

Equipe de l’AS St Etienne Crédits : Bert Verhoeff
Une finale européenne devenue affaire d’État en France
Le 12 mai 1976, l’AS Saint-Étienne dispute la plus grande finale de son histoire. En face, le Bayern Munich de Beckenbauer, double tenant du titre, sûr de sa force.
Hampden Park accueille la finale de la Coupe des clubs champions. Le stade écossais est plein, vibrant, et surtout teinté de vert. Près de 25 000 Stéphanois ont fait le voyage.
La France entière retient son souffle. L’épopée européenne a déjà marqué les esprits, de Kiev à Eindhoven. Ce soir-là, le pays se reconnaît dans ce maillot vert.
Sur le terrain, Saint-Étienne domine de longues séquences. Le Bayern attend, défend, puis frappe sur coup franc. Franz Roth marque. Le score ne bougera plus.
Mais l’histoire ne s’écrit pas seulement sur le tableau d’affichage. Elle se grave sur les montants des cages écossaises.
Hampden Park et ses cages venues d’un autre temps
À Glasgow, en 1976, les cages ne surprennent personne localement. Les poteaux carrés font partie du paysage britannique depuis des décennies. Bois ou métal, section carrée, tout est conforme.
Les lois du jeu de la FIFA et de l’IFAB autorisent alors plusieurs formes. Poteaux ronds, carrés ou rectangulaires cohabitent sans débat. Rien n’oblige Hampden Park à changer ses installations.
Le stade conserve des cages montées bien avant la finale. Elles ont vu passer des générations de joueurs et de supporters. Personne n’imagine qu’elles deviendront un sujet mondial.
Dans les années 1970, de nombreux stades britanniques utilisent encore ce type de montants. La transition vers des poteaux cylindriques n’est pas achevée.
Mais attention, à ce moment précis, personne ne parle d’anomalie. La finale se joue avec des cages réglementaires, identiques pour les deux équipes.
Deux frappes, deux rebonds, une légende
La mythologie naît de deux actions précises. Elles se succèdent et marquent à jamais le récit. La première survient à la 34e minute.
Dominique Bathenay arme une frappe lointaine. Le ballon bat Sepp Maier, touche la barre transversale, et revient dans le terrain. Le stade retient son souffle.
Quelques minutes plus tard, Jacques Santini surgit de la tête. Sa reprise heurte le montant. Le ballon sort. Les poteaux sont carrés, implacables.
Ces deux occasions nourrissent immédiatement une idée tenace. Avec des poteaux ronds, le ballon serait peut-être entré. Le doute s’installe, puis s’enracine.
Et ce n’est pas tout. Ces images tournent en boucle à la télévision française. Elles deviennent un traumatisme partagé, raconté de génération en génération.
Techniquement, aucune certitude n’existe. Angle de frappe, vitesse, trajectoire, tout compte dans un rebond. Les montants ronds provoquent aussi des sorties cruelles.
Mais le football se nourrit rarement de démonstrations scientifiques. Il préfère les symboles simples et les histoires fortes.
Des poteaux réglementaires, mais un procès populaire
Très vite, certains supporters évoquent un scandale. Comment une finale européenne peut-elle se jouer avec de tels poteaux. La question enfle, portée par la frustration.
Pourtant, le règlement est clair. La loi 1 de la FIFA valide explicitement les poteaux carrés. Aucune infraction n’existe. Le match est irréprochable sur le plan réglementaire.
Les cages sont les mêmes pour le Bayern et pour Saint-Étienne. Difficile, dans ces conditions, de parler d’injustice institutionnelle. Le football n’a pas triché.
Mais en France, le débat dépasse le cadre juridique. Le récit collectif cherche une explication à la défaite. Les poteaux deviennent un exutoire émotionnel.
Plutôt que d’évoquer le réalisme allemand, on parle de malchance. Plutôt que d’analyser le coup franc de Roth, on accuse la géométrie du bois.
La formule s’impose rapidement. On ne dit plus Bayern-ASSE 1976. On dit la finale des poteaux carrés. Le match change de nom, donc de sens.
Un mythe typiquement français
Avec le temps, les poteaux carrés deviennent un personnage à part entière. Ils incarnent la nostalgie, la douleur, et l’orgueil d’une génération.
Ce mythe est profondément français. Ailleurs, la finale est une ligne dans un palmarès bavarois. En France, elle devient un roman national.
Les Verts n’ont pas perdu, dit-on souvent. Ils ont été frappés par le sort. Cette lecture protège la mémoire collective et magnifie l’épopée.
Le storytelling s’installe durablement. Les poteaux expliquent tout, ou presque. Ils permettent de transmettre l’histoire aux plus jeunes, sans l’abîmer.
Mais attention, cette légende n’efface pas la réalité du terrain. Le Bayern a été efficace, solide, clinique. Saint-Étienne a manqué ce supplément de réussite.
C’est justement cette tension entre faits et émotions qui rend l’histoire si forte. Le football vit de ces zones grises.
De Glasgow au musée, une relique devenue sacrée
Hampden Park continue pourtant avec ses poteaux carrés pendant plusieurs années. En 1987, un Écosse-Brésil se joue encore avec ces montants.
Ce match marque la dernière apparition de ce type de cages au plus haut niveau. Ensuite, la FIFA pousse vers l’uniformisation des poteaux ronds.
Les arguments avancés parlent de sécurité et de spectacle. Les rebonds seraient plus favorables aux attaquants. Le jeu évoluerait, doucement.
Quarante ans après la finale, l’histoire prend un tournant symbolique. Les fameux poteaux sont retrouvés en Écosse. Saint-Étienne décide de les rapatrier.
En 2013, l’ASSE rachète officiellement les poteaux carrés de Glasgow. Ils entrent au Musée des Verts. Ils deviennent une pièce centrale du patrimoine du club.
Ces montants ne sont plus des objets techniques. Ils sont des témoins. Ils racontent une époque, une équipe, et une ferveur nationale.
Devant eux, les visiteurs ne parlent pas de règlement. Ils parlent d’émotion, de regrets, et de fierté.
Quand un détail technique écrit l’histoire
Les poteaux carrés de Glasgow rappellent une vérité essentielle du football. Un détail peut façonner une mémoire collective durablement.
Ils symbolisent une époque où le jeu n’était pas encore uniformisé. Ils incarnent aussi le besoin humain de raconter la défaite autrement.
Saint-Étienne 1976 ne se résume pas à un score. C’est une histoire de bois, de rebonds, et de destin contrarié.
Et si ces poteaux n’avaient pas été carrés, le récit du football français aurait peut-être suivi un autre chemin, tout aussi fascinant à raconter.
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