La Proposition d’Éric Coquerel sur la Multipropriété : Le Football Français Face à un Tournant Majeur

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Un texte audacieux pour remettre de l’ordre dans les affaires du ballon rond

Proposition d’Éric Coquerel

Eric Coquerel et Clementine Autain Crédits : Drutchy2017

C’est un pavé dans la mare du football français. Le député Éric Coquerel, président de la commission des finances à l’Assemblée nationale, a décidé de s’attaquer à l’un des sujets les plus sensibles du moment : la multipropriété dans le sport professionnel. Son initiative, transpartisane et soutenue par près de 90 députés, veut redonner du sens à la compétition, de la clarté dans les capitaux et de l’espoir aux supporters.

La montée en puissance d’un phénomène inquiétant

La Proposition d’Éric Coquerel vise un système qui a pris des proportions alarmantes. La multipropriété, c’est cette situation où une même entité contrôle plusieurs clubs, souvent à travers des holdings tentaculaires.
2012, on en comptait moins de 40 en Europe.
2024, elles sont déjà 229.
En Ligue 1, plus de la moitié des clubs appartiennent à un groupe international : Angers, Lens, Lorient, Lyon, Metz, Monaco, Nice, le PSG, Strasbourg, Toulouse. Même constat en Ligue 2, où sept formations sont concernées. Ce maillage financier transforme le football français en terrain d’investissement. Et ça, Coquerel ne le digère plus.

Red Star, l’étincelle qui a mis le feu

Tout part d’un club historique, le Red Star. Dans sa circonscription de Seine-Saint-Denis, Coquerel a vu de près les dégâts provoqués par la faillite de 777 Partners. Ce fonds américain possédait le club audonien, avant de s’effondrer fin 2024. « Les supporters savaient que cet actionnariat était dangereux », explique-t-il. Derrière les promesses de stabilité, il y avait des montages flous, des fonds instables, et surtout, un désintérêt total pour le football populaire. Ce fiasco a convaincu le député qu’il fallait un cadre fort, une protection claire pour les clubs et leurs fans.

Interdire, contrôler, responsabiliser

La Proposition d’Éric Coquerel veut aller droit au but : interdire qu’un même propriétaire détienne un club français et un club étranger. Et pas seulement dans le football, mais dans tous les sports régis par le code du sport. Une mesure radicale, mais jugée nécessaire. Pour éviter les contournements, le texte s’appuie sur deux piliers : des sanctions lourdes et une surveillance accrue. Désormais, une entité fautive risquerait jusqu’à 2% de son chiffre d’affaires mondial. Et surtout, une exclusion pure et simple des compétitions françaises. Fini les amendes symboliques de 45 000 euros, trop légères pour des fonds pesant des milliards.

Le principe d’aléa sportif, une idée forte

Le texte introduit un concept inédit dans le code du sport : le principe d’aléa sportif. En clair, il garantit que chaque compétition conserve une part d’incertitude. Si deux clubs appartiennent au même groupe, comment croire que tout se joue à la loyale ? Ce principe veut remettre l’imprévisibilité au centre du jeu. Il protège la crédibilité des championnats, mais aussi la foi des supporters.

DNCG, État, supporters : une garde rapprochée

La proposition d’Éric Coquerel ne se limite pas à interdire. Elle renforce les contrôles. La DNCG, souvent critiquée pour son manque de mordant, verrait ses pouvoirs élargis. Elle pourrait désormais examiner la solidité financière de chaque projet d’achat ou de cession. Mieux encore, elle disposerait d’un droit de veto. Un véritable bouclier contre les opérations suspectes. Et ce n’est pas tout. Les supporters, via leurs associations, pourraient eux aussi saisir la DNCG. Une première en France. Même les collectivités locales auraient leur mot à dire. Enfin, le ministère des Sports disposerait d’un pouvoir de veto si la DNCG venait à commettre une erreur manifeste. Un dispositif complet, qui responsabilise chaque acteur.

Pas de retour en arrière

Coquerel a fait le choix du pragmatisme. Sa loi ne s’appliquerait pas aux situations déjà établies. Inutile de mettre à feu et à sang des clubs comme Lyon (Eagle Football), Strasbourg (BlueCo) ou Nice (Ineos). L’objectif n’est pas de punir, mais de prévenir. Le texte vise avant tout à stopper la prolifération future de ces montages.

Un calendrier déjà tracé

Le député prévoit de présenter le texte fin 2025 ou début 2026. Et il n’est pas seul. Des élus venus de LFI, des Écologistes, mais aussi des Républicains soutiennent cette démarche. Ce large consensus pourrait accélérer l’adoption de la loi. En parallèle, Coquerel souhaite arrimer sa proposition aux recommandations du rapport Savin-Lafon sur la gouvernance du football français, déjà validé au Sénat. De quoi lui donner du poids politique et institutionnel.

Un combat contre les dérives du football-business

Pour Coquerel, la bataille dépasse la France. Il veut que l’Europe s’en empare. L’idée : coordonner les législations via l’UEFA et la FIFA, afin d’éviter les contournements. Car les fonds d’investissement n’ont pas de frontières. Si la France agit seule, le risque serait de pénaliser ses clubs face à la concurrence étrangère. Mais pour le député, il faut bien commencer quelque part. Et il espère que la France deviendra un modèle, un signal fort envoyé au reste du continent.

Des critiques, mais une conviction intacte

Les économistes, eux, restent prudents. Christophe Lepetit, spécialiste du sport, alerte sur un possible désavantage compétitif pour les clubs français. Interdire la multipropriété ici, alors qu’elle prospère ailleurs, pourrait isoler la Ligue 1. Et puis, il y a la question du droit européen, toujours prompt à défendre la libre concurrence. Mais pour Coquerel, l’enjeu est ailleurs. Il s’agit de redonner de la dignité au football français, de le sortir des logiques de portefeuille. Le député sait que la bataille sera rude, mais il ne compte pas reculer.

Des exemples qui parlent d’eux-mêmes

Le cas 777 Partners reste le plus parlant. Sept clubs dans le monde, un empire bâti sur le sable. Le Red Star, le Hertha Berlin, le Genoa, le Standard de Liège, Séville, Vasco de Gama, Melbourne Victory : tous ont été pris dans la chute du groupe. Strasbourg aussi illustre le problème. Depuis le rachat par BlueCo, le club alsacien a dépensé sans compter, 18 recrues en un été, mais au prix d’une rupture avec ses supporters. Et puis il y a les modèles plus discrets : le City Football Group, propriétaire de Manchester City et de Troyes, ou encore RedBird Capital, entre Milan et Toulouse. Le football français est devenu un laboratoire de ces montages mondiaux.

Vers un football plus juste

La Proposition d’Éric Coquerel ne se veut pas punitive. Elle vise à rééquilibrer le jeu, à préserver l’aléa sportif et à redonner du sens à la compétition. Dans un football où les intérêts économiques dictent souvent les résultats, cette loi pourrait rebattre les cartes. Le député ne promet pas des miracles, mais il trace une ligne claire : celle d’un sport au service de ses acteurs, pas de ses actionnaires. La suite ? Elle pourrait bien se jouer à Bruxelles, où d’autres pays observent attentivement le débat français.

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