L’affaire Manchester City concentre toutes les tensions du football anglais contemporain. Derrière ce dossier tentaculaire se joue bien plus qu’un simple contentieux financier. C’est la crédibilité même de la Premier League qui se retrouve suspendue à une décision toujours attendue.

Depuis sept ans, le football anglais vit au rythme d’une procédure hors norme. Accusations multiples, batailles juridiques, silences institutionnels. L’affaire Manchester City s’est imposée comme le dossier le plus sensible de l’histoire récente de la Premier League.
Aux origines d’un séisme réglementaire
Tout commence à l’automne 2018. Les révélations du Football Leaks, publiées par Der Spiegel, exposent des documents internes du club anglais. Ils laissent entendre que Manchester City aurait artificiellement gonflé ses revenus commerciaux. L’objectif supposé serait de contourner les règles de fair play financier.
Ces révélations visent directement les liens entre le club et Abu Dhabi United Group. Certains contrats de sponsoring seraient en réalité financés par l’actionnaire principal. Cette pratique, si elle était avérée, remettrait en cause la sincérité des comptes présentés à la Premier League et à l’UEFA.
La ligue anglaise ouvre alors une enquête approfondie en décembre 2018. Elle s’étendra sur près de sept années. Une durée exceptionnelle qui interroge dès le départ. En 2021, le juge Lord Justice Males pointe publiquement une lenteur préoccupante du processus. Pourtant, l’instruction se poursuit, accumulant preuves, témoignages et analyses financières.
Les 115 accusations au cœur de l’affaire
Le 6 février 2023, la Premier League officialise l’ampleur du dossier. Manchester City est visé par 115 charges distinctes. Elles couvrent une période allant de la saison 2009 2010 à l’exercice 2017 2018. Jamais un club n’avait fait face à un tel volume d’accusations en Angleterre.
Ces charges s’articulent autour de plusieurs axes majeurs. Le premier concerne la communication d’informations financières jugées inexactes. La ligue reproche au club de ne pas avoir déclaré la véritable origine de certains revenus de sponsoring.
Un deuxième volet touche à la rémunération de joueurs et d’entraîneurs. Des paiements indirects, via des entités tierces, auraient permis de réduire artificiellement la masse salariale officielle. Les cas de Roberto Mancini et de Yaya Touré sont régulièrement cités comme emblématiques.
S’ajoutent des violations présumées des règles UEFA de fair play financier. À cela s’ajoutent des infractions au Profit and Sustainability Rules de la Premier League. Enfin, une part importante des charges concerne un défaut de coopération avec l’enquête. Le refus ou le retard dans la transmission de documents est au centre de ce dernier volet.
Une bataille judiciaire sans précédent
L’audience indépendante débute en septembre 2024. Elle s’étend sur treize semaines, jusqu’en décembre 2024. À l’issue de cette phase, aucun verdict n’est rendu. À la date du 28 décembre 2025, la commission n’a toujours pas communiqué sa décision.
Cette attente alimente toutes les spéculations. Stefan Borson, ancien conseiller financier de Manchester City, évoque publiquement un verdict repoussé à 2026. Il souligne l’absence de cadre clair et la complexité extrême du dossier. Mais attention, cette temporalité joue aussi un rôle stratégique.
La procédure prévoit deux étapes distinctes. D’abord, la reconnaissance ou non de la culpabilité. Ensuite seulement, l’éventuelle détermination des sanctions. Manchester City conserve par ailleurs un droit d’appel en cas de condamnation.
Les précédents judiciaires pèsent lourd dans l’analyse. En 2020, l’UEFA avait sanctionné City avant d’être désavouée par le Tribunal arbitral du sport. Le TAS avait estimé que certaines accusations étaient prescrites. Pourtant, la Premier League ne connaît pas de limite temporelle comparable. Ce point change radicalement la portée juridique du dossier actuel.
Trois scénarios pour l’avenir du club
Premier scénario, l’acquittement pur et simple. Si la commission blanchit Manchester City, la domination sportive du club serait validée juridiquement. Six titres de Premier League en sept saisons resteraient inscrits dans l’histoire sans contestation officielle. Le Treble de 2023 conserverait toute sa valeur symbolique.
Un tel verdict ne mettrait cependant pas fin aux débats politiques. Les clubs concurrents resteraient sans recours formel. Pourtant, les réformes réglementaires déjà engagées poursuivraient leur route.
Deuxième scénario, une culpabilité assortie de sanctions. La Premier League dispose d’un large pouvoir disciplinaire. Une déduction de points apparaît comme l’option la plus probable. Les cas d’Everton et de Nottingham Forest servent de référence, mais l’échelle serait incomparable.
D’autres mesures sont envisageables. Une amende financière lourde pourrait être prononcée. Une interdiction de recrutement fragiliserait le projet sportif de Pep Guardiola. Le scénario extrême reste l’exclusion du championnat. Une hypothèse jamais appliquée, mais juridiquement possible.
Troisième scénario, des conséquences compensatoires indirectes. Une condamnation ouvrirait la voie à des actions en dommages et intérêts. Liverpool, Arsenal ou Tottenham pourraient estimer avoir subi un préjudice concurrentiel. Toutefois, prouver un lien direct entre infractions et pertes financières relèverait d’un défi méthodologique colossal.
Une Premier League en pleine mutation financière
Parallèlement à l’affaire Manchester City, la Premier League transforme son cadre réglementaire. Le Profit and Sustainability Rules cède progressivement la place au Squad Cost Ratio à partir de la saison 2025 2026. Ce nouveau système plafonne les dépenses d’effectif en pourcentage du chiffre d’affaires.
Pour les clubs engagés en compétitions européennes, le seuil est fixé à 70 pour cent. Pour les autres, il atteint 85 pour cent. L’objectif affiché est d’offrir plus de prévisibilité financière tout en renforçant le contrôle en temps réel.
Manchester City, avec un chiffre d’affaires de 694,1 millions de livres, dispose d’une marge théorique confortable. Pourtant, ses investissements massifs en transferts rapprochent dangereusement le club de cette limite. Et ce n’est pas tout. Le contentieux autour des règles APT complique encore la situation.
Les règles APT et la stratégie de défense de City
En février 2025, un tribunal arbitral juge illégales les anciennes règles sur les transactions entre parties associées. Manchester City remporte ainsi une victoire juridique partielle. La Premier League est contrainte de réécrire ces règles et de les faire adopter à nouveau.
City engage pourtant un nouvel arbitrage contre la version révisée. Cette stratégie révèle une approche offensive assumée. Le club conteste la légitimité même du cadre réglementaire. Il invoque le droit de la concurrence et la discrimination.
Cette victoire partielle pourrait affaiblir certaines accusations liées à la valorisation des contrats de sponsoring. Pourtant, elle ne suffit pas à neutraliser l’ensemble des 115 charges. La bataille reste ouverte.
La question de la légitimité sportive
Au cœur de l’affaire Manchester City se trouve une interrogation fondamentale. Les titres remportés sont ils légitimes si des infractions sont établies. Aucun précédent en Premier League ne permet de répondre clairement.
Une annulation rétroactive des titres provoquerait un choc institutionnel. Redistribution des primes, réécriture des classements, contestations en chaîne. Pourtant, l’UEFA n’a jamais invalidé de titres a posteriori dans des cas similaires.
Au delà des trophées, la concentration des revenus interroge. Manchester City affiche les actifs nets les plus élevés du championnat. Cette puissance financière, construite sur plus d’une décennie d’investissements massifs, a creusé un écart structurel avec une partie de la ligue.
Un dossier qui dépasse le terrain
Les acteurs du football anglais avancent à pas feutrés. Manchester City affiche une confiance publique totale. La Premier League, elle, joue sa crédibilité. Les clubs rivaux observent, calculent, anticipent.
Cette affaire révèle aussi les fractures entre cadres nationaux et continentaux. Les règles diffèrent. Les interprétations s’entrechoquent. Le football européen expose ici ses incohérences structurelles.
L’attente du verdict devient presque un état permanent. Elle nourrit la défiance, mais aussi l’espoir d’un cadre plus lisible. Pour le football anglais, cette décision sera un marqueur durable.
La suite dépendra autant du droit que de la capacité des institutions à restaurer la confiance. Car après Manchester City, d’autres dossiers pourraient émerger, posant à nouveau la question centrale de la gouvernance du football.
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