Ligue 1+ débarque, les clubs comptent leurs euros. La LFP devient son propre diffuseur. Un pari audacieux, mais risqué.

Depuis l’échec retentissant de Mediapro et les promesses non tenues de DAZN, les droits télé Ligue 1 ont connu plus de soubresauts qu’une fin de match au Vélodrome. Pour la saison 2025-2026, la Ligue de Football Professionnel prend les commandes. Avec la création de Ligue 1+, elle change radicalement de cap. Objectif : maîtriser l’exploitation audiovisuelle, récupérer les profits, mais aussi assumer les risques. Entre projections ambitieuses, incertitudes économiques et calculs serrés, voici ce que vont réellement toucher les clubs de Ligue 1 cette saison.
Quinze ans de déroutes audiovisuelles
La Ligue 1 a longtemps cru à l’eldorado des droits TV. En 2018, Mediapro promettait plus d’un milliard par saison. Deux ans plus tard, c’est la faillite : 814 M€ espérés, zéro euro au final. En urgence, Amazon et Canal+ sauvent les meubles avec un deal à 663 M€, très en dessous des attentes. Rebelote en 2024. DAZN s’engage pour 500 M€ par an, mais jette l’éponge moins d’un an plus tard. La LFP récupère à peine 140 M€, plus 85 M€ d’indemnités.
Face à ces échecs répétés, la LFP décide de couper les ponts avec les diffuseurs traditionnels. Ligue 1+ naît de cette volonté : une plateforme OTT maison, une tarification à 14,99 €/mois avec engagement, une diffusion en direct de huit matchs sur neuf. Mais le changement de modèle bouleverse toute la chaîne de valeur du football français.
Ligue 1+ : la machine à cash… ou à dettes ?
Le projet Ligue 1+ repose sur un pilier unique : l’abonnement. Plus d’abonnés signifie plus de revenus. Mais la mécanique financière est fine. Sur 151 M€ de chiffre d’affaires espérés la première année, près de 66 M€ s’envolent en production, marketing et technique. Ajoutez à cela une commission de 25 % pour les distributeurs (FAI, plateformes partenaires), une taxe de 5 % à l’État, et surtout, un reversement de 20 % à CVC. Ce fonds d’investissement, entré en 2022, touche sa quote-part sur toutes les recettes.
Le résultat ? À peine 37,8 M€ à redistribuer aux clubs sur les abonnements directs en 2025-2026, si la LFP atteint son plan de base (1,2 million d’abonnés). Un chiffre largement insuffisant sans apports complémentaires.
Quatre scénarios pour une Ligue incertaine
1. Scénario minimaliste : l’échec programmé
Si la chaîne attire moins d’un million d’abonnés, les recettes nettes pour les clubs chuteraient sous les 40 M€. Un cataclysme. À ce niveau, certains clubs devraient vendre leurs meilleurs joueurs, réduire les effectifs, voire revoir les conditions de remboursement des prêts garantis par l’État.
2. Scénario médian : le plan LFP
Avec 1,2 à 1,5 million d’abonnés, les clubs peuvent compter sur une enveloppe de 288,5 M€. Cette somme inclut le reversement de beIN Sports (78,5 M€) et l’indemnité DAZN (85 M€). C’est loin des 579 M€/an de l’ère Canal+ mais suffisant pour stabiliser les budgets. La Ligue 1 reste dans le jeu, à défaut de dominer la partie.
3. Scénario ambitieux : le palier de la rentabilité
Avec deux millions d’abonnés, la plateforme devient rentable. Le net disponible pour les clubs grimpe à 208,15 M€, hors droits internationaux ou Ligue 2. Cela repositionne la Ligue 1 à hauteur du cycle Amazon-Canal+ 2021-2024. C’est le scénario espéré, mais encore incertain.
4. Scénario optimiste : l’envolée
Si Ligue 1+ atteint 2,15 millions d’abonnés, le chiffre d’affaires s’établirait à 470 M€. Après prélèvements, les clubs toucheraient environ 249,25 M€, auxquels s’ajoutent potentiellement 160 M€ issus des droits internationaux et 40 M€ de Ligue 2. L’enveloppe globale dépasserait les 450 M€. Ce serait le scénario de référence pour revenir dans la course européenne, mais il suppose un taux de conversion d’abonnés très ambitieux.
Ce que les clubs vont vraiment toucher
En combinant abonnements, indemnités et droits beIN, la LFP table sur une enveloppe redistribuable de 288,5 M€ pour la saison 2025-2026. C’est le total net, après déduction de tous les frais opérationnels et prélèvements CVC.
Mais cette enveloppe ne sera pas répartie de façon égalitaire. La grille de répartition repose sur quatre critères : part fixe (30 %), performance sportive (25 %), notoriété de la marque club (20 %) et licence club (20 %). Les 5 % restants relèvent de la péréquation et des variables techniques.
La fracture européenne reste béante
Même dans le meilleur des cas, les clubs français resteront loin des recettes anglaises. La Premier League distribue plus de 3 milliards d’euros par saison à ses clubs. L’écart est abyssal. L’Allemagne, l’Italie et l’Espagne maintiennent également une avance nette. Pour la Ligue 1, la priorité est d’éviter la marginalisation. Le projet Ligue 1+ n’aura pas comblé le fossé, mais pourrait empêcher l’effondrement.
Une course contre la montre
Le succès du projet dépendra de plusieurs facteurs :
- la capacité à convaincre les FAI, Amazon, et potentiellement Free de distribuer Ligue 1+
- la lutte contre le piratage, fléau estimé à 6 % des flux selon DAZN
- la résolution du contentieux avec beIN Sports, toujours en suspens à quelques jours du lancement
- et surtout, l’adhésion du public, prêt ou non à débourser 15 euros par mois pour suivre l’élite française
Si ces défis sont relevés, la LFP pourra envisager de racheter le neuvième match à beIN et diffuser 100 % des rencontres. Cela ferait de Ligue 1+ un acteur central et complet, capable de rivaliser avec ses homologues européens.
Bilan
Les droits télé Ligue 1 pour 2025-2026 marquent un tournant décisif. Pour la première fois, les clubs ne dépendent plus entièrement d’un diffuseur externe. Mais ce nouveau modèle repose sur des bases fragiles. Le moindre écart entre prévisions et réalité pourrait faire vaciller l’ensemble de l’écosystème.
Le PSG et l’OM continueront à tirer leur épingle du jeu. Mais derrière, les petits clubs devront faire preuve d’ingéniosité, de sobriété, voire de sacrifices. La Ligue 1+ n’est pas un jackpot : c’est une promesse. Et comme toutes les promesses en football, elle n’a de valeur que si elle est tenue sur le terrain.
Prochaine étape : les droits internationaux, clef de voûte du rayonnement mondial de la Ligue 1.
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