Aliou Cissé : l’homme qui a transformé le football sénégalais

Temps de lecture : 5 minutes.

Il a porté le brassard, puis le costume de sélectionneur. Aliou Cissé n’a jamais quitté le terrain, ni les cœurs. De la douleur de 2002 à la gloire de 2022, l’ancien défenseur devenu sélectionneur a façonné le destin du Sénégal. Plongée dans l’histoire d’un homme devenu légende.

Kalidou Koulibaly et son entraîneur Aliou Cissé Crédits : Jeanpierrekepseu

Il y a des visages qui incarnent bien plus qu’un maillot. Celui d’Aliou Cissé est indissociable de l’histoire contemporaine du football sénégalais. En deux décennies, il a vécu tous les rôles : capitaine, figure tragique, leader charismatique, puis entraîneur triomphant. Son parcours, entre échec fondateur et triomphe libérateur, est celui d’un homme qui a appris à faire de chaque défaite une leçon. Le Sénégal lui doit son premier titre continental, mais surtout une méthode, une vision, une fierté retrouvée.

Des racines profondes et une identité forgée entre deux mondes

Né à Ziguinchor en 1976, Aliou Cissé grandit au Sénégal avant de s’installer en France à l’âge de neuf ans. Cette double appartenance, franco-sénégalaise, devient un atout dans sa future carrière d’entraîneur. Il comprend les subtilités culturelles qui forgent l’état d’esprit de ses joueurs. À Champigny-sur-Marne, il découvre un autre monde mais n’oublie jamais ses racines. Ce tiraillement identitaire nourrit une empathie rare, précieuse pour parler aux joueurs binationaux.

Une carrière de joueur discrète mais formatrice

Cissé débute sa carrière professionnelle à Lille avant de rejoindre Sedan, puis le Paris Saint-Germain. Il y dispute la Ligue des champions, découvre la pression du haut niveau et forge son caractère. En Angleterre, à Birmingham et Portsmouth, il s’endurcit face au football rugueux des îles britanniques. Mais c’est en sélection que son nom s’inscrit dans l’histoire. En 2002, il porte le brassard d’une génération dorée qui crée l’exploit face à la France au Mondial. Le Sénégal atteint les quarts de finale, une première. Quelques mois plus tard, il manque un penalty décisif en finale de la CAN. Ce moment douloureux devient le point de départ d’une ambition plus grande.

Le bâtisseur d’un nouvel état d’esprit

Nommé sélectionneur en 2015, Aliou Cissé hérite d’une équipe en manque de repères. Il impose rapidement sa patte. Le style est sobre, mais l’homme connaît son vestiaire mieux que personne. Il ne crie pas, il convainc. Sa force réside dans sa capacité à adapter son discours à chaque profil. Il parle différemment aux joueurs locaux, aux expatriés et aux binationaux. Il sait toucher juste. Tactiquement, il refuse le dogmatisme. Cissé alterne entre plusieurs systèmes, passe du 4-3-3 au 3-5-2 sans perdre son équilibre. Son Sénégal devient imprévisible, solide, cohérent.

Une politique de jeunesse tournée vers l’avenir

À chaque compétition, il lance un nouveau talent. En 2017, Ismaïla Sarr. En 2019, Krépin Diatta. Il puise dans les académies locales comme Génération Foot ou Diambars, refuse les circuits imposés et construit une équipe sur le long terme. Il crée un vivier, pas une génération spontanée. Le Sénégal ne se contente plus de briller, il s’installe dans la durée. Cissé s’appuie aussi sur des anciens pour encadrer les jeunes. Tony Sylva, Oumar Daf ou Khalilou Fadiga rejoignent le staff. L’histoire de 2002 devient un pilier, pas un souvenir figé.

L’apogée d’un destin : la CAN 2022

Le 6 février 2022, au Cameroun, le Sénégal remporte la première Coupe d’Afrique des Nations de son histoire. Face à l’Égypte, Sadio Mané transforme le tir au but décisif. La boucle est bouclée. Vingt ans après sa douleur personnelle, Cissé exulte, les bras levés. Il n’a pas seulement gagné un trophée. Il a guéri une blessure collective. Son émotion à la fin du match reflète l’ampleur du moment. Cette CAN est bien plus qu’un titre : c’est une reconnaissance, un soulagement, une fierté.

Crédits : Jeanpierrekepseu

Une stature continentale et une reconnaissance mondiale

Le Sénégal devient la référence africaine. Numéro un au classement FIFA sur trois années consécutives. Présent aux Coupes du monde 2018 et 2022. Cissé est invité dans les cercles d’expertise de la FIFA. Il participe à la réflexion globale sur le développement du football et incarne un contre-modèle aux idées reçues sur les entraîneurs africains. Il prouve que compétence et stabilité peuvent coexister et montre que l’excellence ne vient pas toujours d’ailleurs.

Un engagement au-delà du terrain

Ambassadeur de l’UNICEF au Sénégal, il porte un message clair : sport et éducation sont indissociables. Il intervient dans les académies, dialogue avec les jeunes, répète les mêmes mots : rigueur, sacrifice, discipline et n’idéalise pas le football, il en connaît les pièges et sait que tous ne deviendront pas professionnels. Il veut faire d’eux des hommes debout. Son rôle dépasse la ligne de touche. Il est mentor, modèle, éducateur.

Un départ contesté mais un héritage intact

En 2024, la fédération sénégalaise décide de tourner la page. Le départ de Cissé surprend, divise, mais ne ternit pas son bilan. Il a offert au Sénégal son premier trophée majeur. Il a changé la perception du pays à l’international. Son bilan est celui d’un bâtisseur. Il part avec la tête haute, porté par la reconnaissance d’un peuple entier. Augustin Senghor, président de la fédération, résume : « Cissé, c’est notre fierté nationale. »

Un nouveau défi à Tripoli

En mars 2025, Cissé prend les rênes de la Libye. Un choix étonnant, mais cohérent avec sa philosophie. Il ne cherche pas les projecteurs, il cherche un projet. La Libye n’a plus participé à la CAN depuis 2012. Le chemin est long, mais il y croit. Il parle déjà de qualification pour la Coupe du monde 2026. Cissé ne fuit pas les défis, il les embrasse. Il voit dans chaque échec une opportunité, dans chaque terrain vierge une promesse.

L’homme derrière la méthode

Cissé ne triche pas. Il parle avec pudeur, agit avec cohérence et répète que le football est un sport exigeant, jaloux, qu’il faut épouser entièrement et transmet cette exigence à chaque joueur qu’il croise. De plus, il refuse les raccourcis. Il croit au travail, à la transmission, à l’effort et sait que l’éducation est une arme. Il n’entraîne pas seulement des footballeurs, il forme des citoyens. Son héritage est mental, éthique, culturel.

Une empreinte éternelle

Aliou Cissé a marqué à jamais le football sénégalais. Il a bâti une sélection moderne, stable, ambitieuse. Il a ancré une mentalité nouvelle, un état d’esprit de conquête et a prouvé que l’Afrique peut gagner avec ses propres fils. Son histoire est celle d’un homme qui a donné sans compter, qui a cru même quand tout semblait perdu. Alors qu’il ouvre un nouveau chapitre en Libye, son empreinte demeure. Et une question reste ouverte : jusqu’où pourra-t-il porter cette méthode ailleurs sur le continent ?

Abonnez-vous à TopicFoot
Entrez votre Mail pour recevoir nos derniers articles.
icon

Voir aussi notre article sur : Faux agents africains : les prédateurs du rêve footballistique