Une affaire explosive révèle l’influence mafieuse des ultras de l’Inter et du Milan AC, ébranlant les fondations du football italien.

La tempête judiciaire baptisée « Doppia curva » a révélé un système mafieux d’une ampleur inédite, enraciné au cœur des virages milanais. Ce scandale, mêlant assassinats, extorsions, intimidation et corruption, plonge les clubs historiques de l’Inter et du Milan AC dans une crise sans précédent. Plus qu’un simple dossier criminel, « Doppia curva » incarne l’inquiétante fusion entre football populaire, argent sale et organisations mafieuses.
Une enquête judiciaire sans précédent dans le football italien
Le parquet antimafia de Milan a frappé fort. Le 16 juillet 2025, seize ultras de l’Inter et du Milan AC ont été condamnés à de lourdes peines, allant jusqu’à dix ans de prison. Cette opération judiciaire, baptisée « Doppia curva », vise à démanteler une organisation criminelle tentaculaire enracinée dans les tribunes les plus chaudes de San Siro.
Tout commence par la mort suspecte de Vittorio Boiocchi en 2022. Ce capo historique de la Curva Nord, figure du mouvement ultra interiste, est abattu dans la périphérie milanaise. Deux ans plus tard, Antonio Bellocco, rival notoire impliqué dans la gestion des billets et du merchandising, subit le même sort. Ces assassinats, loin d’être des faits isolés, révèlent une guerre de clans au sein même des tribunes, alimentée par la mafia calabraise ‘Ndrangheta.
Andrea Beretta, ex-chef redouté de la Curva Nord, a été reconnu coupable d’« association de malfaiteurs avec circonstances aggravantes mafieuses » et d’« assassinat ». Il a écopé de dix ans de réclusion. Son alter ego de la Curva Sud, Luca Lucci, proche des milieux néo-fascistes, a reçu la même peine pour des faits similaires. Ces deux figures symbolisent une alliance secrète entre ennemis jurés, scellée par un pacte de non-belligérance pour maximiser les profits issus de l’économie parallèle.
Le virage devient une entreprise mafieuse multimillionnaire
L’enquête « Doppia curva » a mis en lumière une réalité glaçante : les virages populaires ne sont plus seulement des bastions de passion, mais de véritables entreprises criminelles. Les ultras milanais ont mis la main sur tout ce qui pouvait générer du profit autour de San Siro.
Des parkings jusqu’aux buvettes, en passant par la revente illégale de billets, les stands de nourriture, les boissons, les gadgets, tout est sous contrôle. Ces activités, longtemps tolérées par les clubs et les autorités, sont aujourd’hui formellement documentées comme relevant d’une logique mafieuse. Chaque place de parking, chaque sandwich vendu, chaque écharpe commercialisée clandestinement, génère des revenus colossaux, dont une partie revient à des figures liées à la ’Ndrangheta.
L’entreprise Kiss and Fly, gestionnaire de parkings, a versé quatre mille euros par mois aux ultras pour garantir la tranquillité. Son dirigeant, Gherardo Zaccagni, est désormais assigné à résidence. Pire encore, l’élu régional Manfredi Palmeri, ancien conseiller municipal et gestionnaire de M-I Stadio, est accusé d’avoir perçu vingt mille euros et un tableau de valeur en échange de faveurs.
Pressions, intimidations et influence directe sur les clubs
Au-delà du volet économique, « Doppia curva » a exposé un phénomène bien plus préoccupant : la soumission des clubs face aux ultras. Selon les 530 pages du dossier judiciaire, l’Inter et le Milan AC ont laissé s’installer un système de gestion. Celui-ci est dominé par les groupes les plus extrêmes de supporters.
Des dirigeants sont sollicités, voire intimidés, pour céder des billets, des accréditations ou des faveurs. L’enquête révèle que Simone Inzaghi, entraîneur de l’Inter, a été approché par des leaders ultras en pleine crise sportive. Ils exigeaient qu’il plaide auprès du président Marotta pour obtenir 1500 billets pour la finale de la Ligue des champions à Istanbul. Objectif : les revendre dix fois leur prix sur le marché noir.
Même les figures légendaires du club comme Marco Materazzi ou Javier Zanetti ont été sollicitées. Cette intrusion directe dans la gestion sportive met en évidence une emprise toxique. Le cas du joueur Milan Skriniar est éloquent. Des ultras ont tenté de le convaincre de rester en pleine période de transfert, usant de leur influence sur l’image du club.
Du côté du Milan AC, la situation n’est guère meilleure. Luca Lucci, leader de la Curva Sud, a rencontré le capitaine Davide Calabria dans un bar de banlieue. L’objet de l’entretien reste flou, mais son existence même pose question. Jusqu’où allait l’emprise des ultras sur la vie interne des clubs ?
Les clubs sur la sellette judiciaire et sportive
Bien que ni l’Inter ni le Milan AC ne soient directement mis en cause sur le plan pénal, les conséquences pourraient être lourdes. Le parquet a lancé une procédure de prévention contre les deux institutions, fondée sur le concept de responsabilité organisationnelle. Cela signifie que même sans complicité active, une entreprise peut être tenue pour responsable si elle laisse prospérer une criminalité en son sein.
Si les clubs ne parviennent pas à démontrer qu’ils ont rompu avec les ultras et renforcé leurs structures internes, une administration judiciaire pourrait être imposée. Un commissaire externe gérerait alors leurs affaires pour nettoyer les interférences mafieuses. La FIGC, la fédération italienne de football, surveille l’évolution du dossier de très près. Elle pourrait infliger des sanctions, allant d’amendes à des suspensions ou des disqualifications, en cas de violation de son code de justice sportive.
Ce code interdit tout dialogue entre joueurs ou dirigeants et les groupes de supporters lorsqu’il s’apparente à de la soumission, de l’intimidation ou de l’ingérence. Or, dans le cas des clubs milanais, la ligne rouge semble avoir été franchie à plusieurs reprises.
Le football italien confronté à ses démons mafieux
L’affaire « Doppia curva » n’est pas un simple scandale local. Elle réactive les vieux démons du football italien car déjà secoué par les affaires de corruption, de matches truqués ou d’influence politique. Ici, il ne s’agit plus de simples arrangements mais d’une prise de pouvoir silencieuse exercée par des groupes mafieux structurés.
La ’Ndrangheta, organisation criminelle calabraise considérée comme la plus puissante du monde, est désormais solidement implantée dans les tribunes. Elle y trouve une vitrine, des relais d’influence, mais aussi des flux financiers utiles pour blanchir son argent sale. En contrôlant les ultras, elle accède à un levier stratégique puissant. Elle sera capable de peser sur les politiques locales, les dirigeants sportifs et même les entreprises partenaires des clubs.
La porosité entre les sphères politique, économique et sportive devient alors un terrain fertile pour les dérives. L’affaire Palmeri en est le symptôme le plus parlant. Entre un conseiller régional, des entreprises de gestion et des mafieux en col blanc, le lien est désormais avéré.
La fin de l’impunité pour les ultras mafieux ?
En Italie, les groupes ultras font partie intégrante de l’histoire du football. Ils chantent, organisent les tifos, suivent leur équipe jusqu’au bout du monde. Mais certains d’entre eux ont dévié, transformant leur passion en commerce mafieux, leur influence en menace.
L’enquête « Doppia curva » marque un tournant. Pour la première fois, la justice italienne a choisi de traiter les ultras mafieux comme des criminels à part entière. Plus comme de simples délinquants. Les condamnations lourdes, les révélations publiques, les sanctions potentielles contre les clubs signalent un changement de paradigme.
Il reste à savoir si cette volonté politique sera suivie d’effets durables. Car les ultras disposent encore d’un pouvoir d’intimidation réel. Certains dirigeants préfèrent céder à leurs exigences plutôt que risquer des tensions dans le stade. Le défi est donc immense . Il faut protéger le football sans le dénaturer, assainir sans détruire, couper les tentacules sans tuer la passion.
Et maintenant, quel avenir pour San Siro et les virages milanais ?
Le scandale « Doppia curva » interroge l’avenir du football italien. Peut-on encore faire confiance aux clubs, aux supporters, aux institutions, après de telles révélations ? La reconstruction sera longue et nécessitera un changement profond des mentalités.
Un nouveau virage s’ouvre pour les tifosi. Les clubs et les autorités, à condition qu’ils aient le courage de sortir de l’ombre des courbes et de rompre avec des décennies de compromissions.
Une autre question brûlante se pose désormais. Le modèle des groupes ultras peut-il encore exister sans tomber entre les mains du crime organisé ?
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